Le Brésil du STF, la France de Benjamin Constant et les craintes de Deioces

Au Brésil, un seul juge de la Cour suprême, le STF, peut suspendre indéfiniment l’application d’une loi approuvée par le Congrès national et sanctionnée par le Président de la République. C’est une extravagance que la société espère voir corrigée. Quand je parle de société, je me base sur des chiffres.

Selon une enquête de Qaest, 66 % des Brésiliens estiment que les décisions monocratiques des ministres du STF ont des limites. C’est ce que dit la PEC approuvée au Sénat. La même enquête montre que les Brésiliens sont d’accord avec l’idée que les ministres du STF aient un mandat permanent. Ceci n’est pas indiqué dans le PEC.

De nombreuses personnes sont mécontentes de la Cour suprême. Selon Qaest, le taux de jugements négatifs du tribunal est passé de 29% en février à 36% en octobre. Dans toutes les régions du pays et parmi les citoyens de tous bords politiques, pas seulement parmi les bolsonaristes. C’était avant l’annonce de la mort du jeune homme à la santé fragile que le STF avait maintenu en prison pour son implication dans les émeutes du 8 janvier, ignorant les rapports médicaux selon lesquels il risquait de mourir.

Du haut de mon insignifiance, j’ai commencé à donner des conseils au président du STF, Luís Roberto Barroso, dans un article récemment publié. Je ne prendrai plus cette liberté. Mais le jour de la colère des ministres face à la PEC, je suis tombé sur une phrase de Benjamin Constant lors de lectures littéraires, l’original français, pas le républicain brésilien.

Le Français d’origine était un penseur politique et aussi un homme de grande action qui a travaillé avec Madame de Staël, l’écrivain des salons animés de Paris, témoin de la Révolution. La phrase de Benjamin Constant est la suivante : « Les administrateurs du pouvoir ont une fâcheuse tendance à considérer ceux qui ne sont pas eux comme une faction. Parfois, ils mettent même la nation elle-même dans cette catégorie..

Des lectures littéraires récentes m’ont également amené à l’histoire de Déiocès, racontée par le grec Hérodote. Déiocès fut celui qui unifia les Mèdes (peuple qui habitait le territoire de l’Iran actuel), après la chute de l’empire assyrien. Il devint roi grâce à une astuce : alors que les Mèdes vivaient dans différentes tribus sans loi ni autorité centrale, Déiocès, qui jouissait déjà du respect de son peuple, commença à jouer le rôle d’arbitre dans les conflits quotidiens.

Il se montra si juste et raisonnable qu’il devint officiellement le juge de la tribu. Sa renommée s’est répandue et Deioces a également commencé à faire des affaires dans d’autres tribus.

Comme on pouvait s’y attendre, le nombre de cas qui lui parvinrent fut énorme, jusqu’à ce que Deioces annonce qu’il ne négligerait plus ses intérêts pour promouvoir ceux des autres.

Sans lui comme autorité, les crimes se multiplièrent au point que, pour mettre un terme à l’anarchie établie, les représentants des tribus se rassemblèrent. Ceux qui étaient amis de Déiocès proposèrent de nommer un roi qui veillerait aux intérêts de chacun, afin que chacun puisse s’occuper des siens.

Les représentants estimaient qu’un roi serait en effet le meilleur moyen de résoudre le problème – et le choix revenait naturellement à Deioces, comme il l’avait prévu. Son intérêt fut enfin satisfait, comme celui des autres. Il y a 2 700 ans, il a utilisé la justice pour devenir roi.

Philbert Favager

"Analyste. Pionnier du Web. Accro à la bière. Adepte des réseaux sociaux. Communicateur. Passionné de voyages au charme subtil."

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *