France : ce que la victoire de la gauche enseigne

Les médias conventionnels n’étaient pas intéressés à annoncer la nouvelle pour des raisons évidentes. Et ceux de gauche ne l’ont pas souligné non plus, peut-être parce qu’ils n’ont pas compris sa dimension. Mais une tempête politique — inattendue et pleine d’actualité — a secoué la France ce dimanche (6/12). Une coalition rassemblant post-capitalistes, communistes, socialistes et écologistes a obtenu le plus de voix au premier tour des élections législatives, avec un peu plus de 25,7 % des suffrages. Il devance à la fois les candidats néolibéraux liés au président Emmanuel Macron (qui a obtenu 25,66 %) et l’ultra-droite, partisans de Marine Le Pen (18 %).

Cela s’appelle Nupes, Nouvelle Unité Ecologique et Sociale des Peuples. Il est dirigé – et articulé – par Jean-Luc Mélenchon, qui s’est présenté à la présidence en avril. Il bat l’extrême droite et regagne l’essentiel des voix contestataires, qui avaient jusqu’ici favorisé Marine Le Pen (Réunion nationale) ou Éric Zémour (Reconquista). Cela a mis à rude épreuve Emmanuel Macron, le président nouvellement élu, mettant en péril son programme néolibéral de contre-réforme et peut-être sa majorité parlementaire. Il devrait être en mesure d’élire environ 180 députés dimanche prochain (19/6) – contre moins de 60, actuellement, parmi les partis qui le composent. Les raisons de son succès méritent d’être examinées de près au Brésil. Il s’agit des moyens de mobiliser l’opinion publique en faveur d’une reconstruction nationale contre le néolibéralisme.

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Le plus remarquable est peut-être la capacité de Mélenchon à proposer un programme post-capitaliste qui s’engage dans un dialogue avec les drames contemporains de la société, plutôt que de se perdre dans les vieilles polémiques de gauche (comme la dispute entre « réforme » et « révolution »). Cet effort a parcouru un long chemin. Participant actif aux mouvements de 1968 (quand il était proche du trotskysme), plus tard membre du Parti socialiste et fondateur du parti de gauche (en 2009) Mélenchon a évolué ces dix dernières années vers une position plus proche des sensibilités politiques reconnues dans « l’altermundismo ». Aussi était inspiré chez des philosophes comme Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, considérés par certains comme les compilateurs d’un « populisme de gauche ». Sous ces influences, il lance le mouvement en 2016 La France désobéissantequi, après un long processus d’assemblages, produit le programme L’avenir commun – sur la base de ses candidatures présidentielles en 2017 et 2022.

Il est difficile de se qualifier sous de vieilles lentilles. Pour certains (ex. cet avis sur le site portugais À gauche), c’est un programme réformiste puisqu’il ne propose ni la nationalisation des moyens de production ni la prise du pouvoir par des moyens non institutionnels. Mais il suffit de le lire attentivement pour se rendre compte à quel point il ne rentre pas dans les limites du capitalisme réel. Par exemple, il y a des propositions telles que la garantie par l’État d’emplois décents pour ceux qui le souhaitent ; la journée de travail de 35 heures (ou 32, pour les activités intenses) ; l’interdiction des licenciements par les entreprises bénéficiant d’avantages fiscaux ; la réintroduction de taux élevés d’impôt sur le revenu et de lourds impôts sur la fortune et les successions ; l’interdiction des expulsions lorsqu’il n’y a pas de garantie de logement pour les locataires ; la transition accélérée vers la production d’énergie propre ; la définition, par référendum, d’une gamme de biens non privatisables ; la revue générale des méthodes policières ; la punition des entreprises qui ne fixent pas des salaires égaux pour les hommes et les femmes.

A ces objectifs s’ajoutent d’autres, de plus courte durée, qui dialoguent avec les drames contemporains. Celles-ci incluent l’augmentation du salaire minimum à 1 400 euros (7 900 R$) et le gel des prix du carburant ; le retrait de la France des programmes de l’Union européenne impliquant des coupes dans les dépenses publiques ; l’abaissement de l’âge minimum de la retraite à 60 ans (il est aujourd’hui de 62 ans).

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Aux élections de 2017, ce programme assure à Mélenchon la troisième place dans la course à la présidence (avec 19,6 % des voix). France Insoumise (LFI), qui s’est présentée seule aux élections législatives, a recueilli 11,03 % de suffrages et élu 17 députés. Mais en 2022, le scénario semblait plus sombre lors des élections exécutives et législatives. Jusqu’à quelques mois avant l’élection, toute la gauche semblait divisée et impuissante. Les socialistes, qui avaient dirigé le pays à différentes époques au cours des décennies, étaient tombés au plus bas : seulement 29 députés (sur un un total de 577) et 4% des intentions de vote pour la présidence. Les communistes et les verts, qui n’avaient pas de représentation parlementaire, semblaient encore plus faibles. Le débat politique a été dominé par l’émergence des deux candidats d’extrême droite et le urgence des thèmes qui lui sont les plus chers – « l’identité » nationale, la délinquance et le rejet des immigrés. Mélenchon lui-même est resté cinquième dans les sondages jusqu’en février, sans casser la marge de 10% des suffrages.

« Je suis comme une tortue intelligente », a-t-il alors interpellé lors d’un de ses rendez-vous – « mais je laisserai quelques lièvres jusqu’au bout ». Il a tenu sa promesse même dans un scénario politique houleux. Le fait qu’il n’ait pas soutenu la croisade de l’OTAN contre la Russie en Ukraine l’a retourné contre presque tous les médias. Les sondages pré-électoraux n’étaient pas en sa faveur (laissant entendre qu’il avait au moins 5 points de retard sur Marine Le Pen dans la contestation pour atteindre le second tour jusqu’au bout). Néanmoins, il obtient 21,95% des voix au premier tour (joué le 4/10). C’était moins de 500 mille (1,2 points de pourcentage) de Le Pen. Pour arriver à la dernière dispute avec Emmanuel Macron, il suffirait qu’il ait une petite part des voix des autres partis de gauche, qui ont échoué. Les Verts en ont reçu 1,6 million (4,6 %) ; les communistes, 800 mille (2,3%) et les socialistes, 620 mille (1,7%).

Mais la grande création politique de Mélenchon en 2022 suivrait, précisément sous la forme de la contestation devant le Parlement. Au lieu de blâmer les Verts, le PC ou le PS, il a proposé qu’ils intègrent un front de gauche massif. L’offre a été étendue aux trotskistes du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), qui l’ont rejetée. Il y avait en elle un calcul politique. Fragilisés par le maigre résultat de la course à la présidentielle, Verts, communistes et socialistes avaient besoin de la LFI pour avoir une chance de ne pas disparaître à la législature.

Le résultat a été Nupes – la première large coalition de gauche à se former en France au cours de ce siècle. Non seulement il a servi de refuge aux partis en difficulté, mais il a également changé le panorama politique. Au lieu de se fragmenter (et, comme c’était souvent le cas, de se heurter), les forces critiquant le capitalisme ont réussi à former un bloc cohérent. Ils l’ont fait en quelques semaines. La position hégémonique Gramscienne du LFI a été déterminante. Avec quelques ajustements et mises à jour, le programme 2016 était tout à fait capable de s’engager auprès de l’électorat.

Ces dernières semaines, seuls les néolibéraux et l’ultra-droite ont disparu du paysage politique français. Nupes est devenu capable de projeter un nouvel horizon commun. Mélenchon y a contribué de manière décisive. Dans une interview peu après avoir passé le multipartisme, il a lancé un défi direct à Emmanuel Macron. Il a comparé les élections législatives à un « troisième tour » d’élections présidentielles. Il a fait valoir que le président n’a pas été réélu parce qu’il était le favori des électeurs, mais uniquement parce que les électeurs se sont engagés à éliminer à tout prix la menace de l’extrême droite. Il l’a appelé à vaincre le néolibéralisme dans le nouveau conflit.

La puissance de ce message n’est pas passée inaperçue New York Times. Dans un article publié dimanche (6/12), le décrit le journaliste Constant Mehéu la popularité de la candidate des Nupes, Marie Pochon, même dans une circonscription rurale du sud du pays, qui vote traditionnellement le centre-droit. Ce domaine est aujourd’hui menacé, révèle le texte, par deux facteurs.

La gauche, qui comptait traditionnellement quatre candidats – dont aucun n’avait de réelle chance – est unie autour de Marie. Mais, peut-être plus important encore, la candidate ne se soucie plus de dire aux électeurs les différences entre son parti et le reste de la gauche. Son énergie politique se concentre sur le dialogue avec la population sur les problèmes concrets causés par les politiques néolibérales dans la région : l’incertitude économique, le manque de médecins, l’incertitude des transports en commun ou la baisse de la production de lavande en raison des températures élevées causées par le climat. monnaie. . Marie parle d’alternatives concrètes – pas des vieilles querelles idéologiques. Il propose d’augmenter le salaire minimum, de combler les lacunes dans les soins de santé, de restaurer les petites branches ferroviaires, de lancer des investissements dans les sources d’énergie propres. Et il réfléchit : « on assiste à l’émergence d’un mouvement écologiste à l’échelle nationale, une nouvelle forme de gauche ».

Des phénomènes similaires se produisent dans bon nombre des 577 circonscriptions de France. Pour Stewart Chau, politologue français interrogé par le journaliste, l’alliance articulée par Mélenchon crée « un nouveau centre de gravité politique » et est « la seule vraie nouveauté de cette élection ». Ce dimanche (19/6), au second tour des élections législatives, Nupes sera présent dans environ 350 des contestations. Il y a cinq ans, les partis qui le formaient ensemble n’apparaissaient pas dans plus de 150.

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Le revirement actuel pourrait-il conduire à l’élection, par le Nupes, du plus grand groupe parlementaire ? C’est peu probable. S’agissant d’une circonscription à 100 % et prévoyant un second tour dans tous les cas, le système électoral français rend cette hypothèse difficile. La tendance principale est que les candidats néolibéraux obtiennent les votes d’extrême droite dans les circonscriptions où ils se rendent au second tour – et vice versa.

Mais le malaise du président Macron est clair. Ce mardi (14/6), s’exprimant à l’aéroport d’Orly, il cachait à peine sa peur – et tentait d’agiter l’épouvantail d’un « Tremblement républicain »🇧🇷 Quelques minutes avant de se rendre en Roumanie, où il participerait à des activités liées à la lutte de l’Otan contre la Russie, il a déclaré que « rien ne serait pire que d’ajouter le désordre français au désordre mondial ». Certains de vos ministres ajoutée – sans aucune justification – que le Nupes « veut faire sortir la France de l’Union européenne ». Mélenchon répondit avec ironie. Il a suggéré que le président « prenne un avion quand il se rend compte que son navire est en train de couler ». Et il s’est moqué du fait qu’il avait programmé un agenda international pour le Parlement en pleine campagne : « Je n’avais pas compté sur nos progrès… »

A quatre jours du second tour, les prévisions les plus fiables indiquaient une impasse politique. Nupes n’a pas pu remporter la majorité, mais Macron non plus – dans une rare défaite pour un président nouvellement élu. Héros des néolibéraux du monde entier, vu par eux comme un seul chef indispensable il y a quelques mois seulement en Europe, il risque désormais de perdre le statut de continuation de son programme. La France néolibérale, aujourd’hui pièce décisive de l’ordre mondial dominé par la logique des marchés, semble vaciller. Une autre France, héritière des traditions de 1789 et 1968, se tenait encore et combattait. Excellente perspective, en ce moment.

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Godard Fabien

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